Coronavirus : à Schleithal, baguette fraîche et petits pains tous les jours

Depuis le confinement, mon boulanger et sa famille continuent de travailler, sans rien changer ou presque à leurs habitudes. La camionnette de livraison circule toujours. Et cela fait cinquante ans que ça dure.

 

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Il y a des personnalités dans un village qui ont toujours été là, des gens qui ne bougent pas, qui ne changent pas. Benoît Demand fait partie de ceux-là. Il est le (seul) boulanger de Schleithal (Bas-Rhin). Benoît affiche 50 ans de boulange au compteur, 50 ans à se lever à 3h pour cuire du pain.
 

Ce matin-là, je le retrouve dans la petite pièce entre le fournil et le magasin. Il est assis à une table avec sa femme et prend son petit déjeuner, de la Ricoré. A 68 ans, Benoît Demand est à la retraite mais avec un sommeil détraqué par des années de travail de nuit, il continue à se lever tôt tous les matins. Sa femme, Marie-Odile, ouvre d'ordinaire le magasin à 4h30 mais, du fait de la crise sanitaire et sur décision préfectorale, elle ne peut plus ouvrir qu'à 6h et ce, jusqu'à midi. Un poêle à bois réchauffe la pièce. Leur fils Christophe dit "Nounours", attend de pouvoir charger le pain et petits-pains destinés au second point de vente, à l'autre extrémité de la commune.
 

Benoît veille sur sur son petit monde comme un patriarche, fier d'avoir réussi à maintenir son affaire et d'y avoir intégré sa femme, ses trois enfants et ses deux petits-enfants. "Mon père était agent de la SCNF, ma maman était femme de ménage. Il n'y avait pas de boulanger dans la famille. J'ai commencé à vendre des glaces sur le trottoir. Il y avait trois boulangers à l'époque où j'ai commencé. C'était la bagarre ! Il y en avait un qui venait de l'extérieur et vendait son pain en triporteur. J'ai rencontré ma femme en 1975 au dancing à Mothern". Marie-Odile sourit.

Elle qui vient de Kilstett et qui était couturière de métier s'est trouvée très vite embarquée dans cette histoire . 45 ans plus tard, elle est toujours au comptoir mais insiste : "Je sais tout faire. J'ai aidé partout. Quand Benoît était à l'hopital, je faisais le pain aussi". Dans un coin, une béquille. Benoît s'est abimé les genoux au travail : "maintenant, j'ai des genoux en plastique ! Monter descendre du camion de livraison, la station debout derrière le four pendant 50 ans, et voilà le résultat". Mais il n'est pas amer, au contraire, il a la fierté de ceux qui ont montés une affaire qui tourne et qui continuera à tourner : "quand Marie-Odile prendra sa retraite cet été, ce sera Chloé qui prendra la gestion de la boulangerie. Elle a un diplôme en boulangerie et chocolaterie. On est comme des gitans, on est un clan. J'ai toujours voulu que tout le monde soit soudé".

Il est 7 heures quand Chloé, 22 ans, arrive avec son frère Kévin, 16 ans, apprenti pâtissier. Leur voie est toute tracée. "Chloé a fait des stages ailleurs. Au bout de deux semaines, elle est rentrée en pleurant. Il y a des patrons méchants". Benoit couve ses petits. Lui-même n'a pas eu que des expériences heureuses durant sa formation.
 
Dans le clan Demand, je demande, Marc 34 ans, le deuxième fils de Benoît et Marie-Odile. C'est lui qui a pris la relève dans le fournil. Il sort les dernières baguettes du four. Timide, il n'aime visiblement pas qu'on le dérange dans sa routine. Marc se lève tous les jours vers 2h30, va se coucher à midi pour retourner au laboratoire vers 18h et faire les préparations du lendemain. Il aime travailler seul.
 
La sonnerie stridente de la porte d'entrée du magasin retentie jusque dans la Bàckstub. Devant le comptoir, les Demand ont installé un large film plastique transparent entre eux et les clients, comme un paravent pour éviter toute propagation du virus. Personne n'évoque le sujet mais tout le monde sait que le premier habitant de la commune, décédé du coronavirus, est un voisin proche.
 
Les clients ne sont que deux à la fois dans le magasin, les autres sont invités à attendre dehors. "Les clients ont changé leurs habitudes. On ne vend pour ainsi dire plus de pâtisseries, du coup, Chloé a moins de travail et prend le relais de sa grand-mère au comptoir. On ajuste. Si à 10h, on n'a plus de pain, on en recuit. On en a toujours en stock dans la chambre de fermentation", explique Benoit.

Au fond du magasin, trônent quelques étagères avec des produits de première nécessité : conserves, pâtes, jus de fruits et dans un comptoir réfrigéré, on trouve même du beurre et l'indispensable "Flaschwurscht", la saucisse de viande. "Nous n'avons jamais vendu autant d'oeufs et de levure fraîche que ces dernières semaines. Les gens sont à la maison alors ils font beaucoup eux-mêmes".
 
Le dernier magasin d'alimentation du village, une ancienne Coop, a fermé il y a quelques mois. Les villageois sont donc contents de trouver là de quoi les dépanner mais cela oblige Marie-Odile à aller deux fois par semaine à Strasbourg pour s'approvisionner dans les grands magasins réservés aux professionnels. Elle achète plus de marchandise que d'habitude pour s'adapter à la demande des clients.
 
Certains s'attardent peu : "Gut Moije, à Baguette s'il te plait. Salut, bis Moije wieda". D'autres ont besoin de parler : "Mon petit-fils va avoir un an et je ne pourrai pas fêter avec lui !", dit une cliente désolée. Marie-Odile prend un peu le temps, discute à travers le rideau de plastique tendu. Dans la pièce d'à côté, Benoît est toujours assis à la table du petit déjeuner. Il avoue reconnaître tous les clients à la voix. Il raconte en rigolant que Marie-Odile est un vrai ordinateur et connait les dates anniversaires de la plupart des habitués : "tous les ans, ils viennent commander les gâteaux aux mêmes dates, alors je les garde en mémoire !", dit-elle en revenant s'assoir à la table au départ du client.

A son poste de contrôle, comme à la tête d'un navire, le capitaine Benoît Demand pense à l'avenir. "S'geht àlles rum, tout passe", dit-il en parlant de la crise sanitaire. L'entreprise familiale est stable. Il s'inquiète un peu pour sa fille Valérie et son gendre qui tiennent le seul restaurant du village, "Le café de la gare". Sans rentrées d'argent, ils devront pourtant rembourser leurs crédits tous les mois. Bonne nouvelle, d'ici la semaine prochaine, vendredi 17 avril, ils pourront reprendre la vente de pizzas et tartes flambées mais uniquement à emporter et uniquement le week-end, ils ont obtenu l'autorisation de la préfecture.
Les affaires doivent continuer. D'ailleurs, à l'heure où j'achève cet article, même fenêtres fermées, j'entends le klaxon de la camionnette de pain dans la rue principale. Comme chaque jour, six jours par semaine, en plus de son travail au restaurant, Valérie fait la tournée et s'arrête le long de la rue principale là où les clients sont postés. Les Demand quadrillent le village avec leurs deux points de vente et leur camionnette. Il faut dire qu'avec ses presque quatre kilomètres, Schleithal est le village-rue le plus long d'Alsace.

En ces temps de confinement comme en temps ordinaire, les Schleithalois ont finalement ce luxe d'avoir du pain et des croissants frais, tous les jours, presque jusqu'au seuil de leur porte.
 

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